Helmut était grognon. Lui, le marin dans l’âme, allait encore se taper 8 heures de route pour que Frau Schultz (c’est ainsi qu’il appelait sa femme quand elle le contrariait) puisse passer ses vacances à Waldfrieden, dans la Gästehaus Morgenblick où elle allait déjà enfant avec ses parents. Il avait horreur de ces randonnées qu’elle lui imposait. Il avait bien compris que c’était une punition qu’elle lui infligeait pour le poids qu’il avait pris et les heures passées avec ses amis à la Bierstub. Il cala leurs deux petits sacs à dos au-dessus de leurs grosses valises et claqua la porte du coffre. Impatiente, sa femme était déjà installée, ceinture bouclée. Helmut s’installa au volant, appuya sur le bouton START de sa Mercedes, savoura un instant le bruit du moteur, jeta un coup d’œil machinal à l’horloge de bord : 7:14. Il relâcha la pédale de frein et s’engagea sur la Krimskramsstraße en direction de l’autoroute.

Werner était vénère. Depuis 17 ans qu’il travaillait chez DHL, il avait toujours démarré sa tournée à l’heure, même bien avant que soient installés sur sa camionnette ces maudits mouchards électroniques. Il avait dû y avoir une coupure de courant pendant la nuit et son vieux radio-réveil avait été réinitialisé à minuit. Il indiquait maintenant 5:30 mais, à la montre de Werner, il était 6:55, et la luminosité du jour ne laissait aucun doute. Il enfila rapidement sa tenue rouge et jaune, se passa un coup d’eau froide sur le visage, prit ses clés dans le vide-poche. Il en profita pour jeter un coup d’œil dans l’armoire électrique, tout était normal sauf la présence étonnante d’une petite plume blanche. Bizarre !Il claqua la porte derrière lui et grimpa dans sa camionnette. Sa tablette tactile lui indiquait une première livraison Krimskramsstraße. Il démarra nerveusement. Pas de temps à perdre s’il voulait éviter un avertissement.

Ursula était en panique. Felix n’était pas venu se coucher sur ses pieds ce matin. Felix était son chat et son unique compagnon depuis que son vieux mari avait été rappelé à Dieu. Elle s’était levée et avait marché sur son tube de somnifères. Que faisait-il par terre, vide ? Et cette plume blanche ? « Mein Gott ! Felix ». Sans même enfiler ses pantoufles, elle courut en boitant à la recherche de Felix. Elle n’eut pas à aller loin. Il était sur son fauteuil. Elle le saisit. Il était encore chaud mais ne se réveillait pas, malgré les appels et les secousses qu’elle lui infligea. Que faire ? Appeler Rolf ! Rolf est son neveu. Elle lui a transmis son amour des animaux et il est devenu vétérinaire. Il a son cabinet dans une grande maison, dans une petite impasse qui débouche sur Krimskramsstraße. Elle ne sait plus où elle a mis son numéro. Elle cherche fiévreusement dans une pile de petits papiers à côté du téléphone. Ach ! Voilà sa carte de visite. Elle avait été si fière quand Rolf la lui avait donnée. Elle appelle. Rolf décroche. Il est déjà au cabinet car il a une grosse opération chirurgicale à préparer. Il rassure sa tante. Qu’elle vienne tout de suite au cabinet avec Felix, il lui fera un lavage d’estomac et il s’en remettra. Ni une ni deux, elle enfile sa robe de chambre, met son pauvre Felix dans un panier d’osier, sort sans même fermer la porte à clé, place le panier avec délicatesse sur le siège passager, fait le tour de sa voiturette sans permis, réalisant qu’elle est encore pieds nus. Pas le temps ! Elle démarre et part moteur vrombissant en direction de son neveu. Le quart de sept heures sonne au clocher de l’église.

Ursula arrive enfin Krimskramsstraße. Une camionnette rouge et jaune est garée en contre-file. Ursula, lancée à la pleine vitesse de son petit moteur deux-temps, déboîte et se retrouve nez à nez avec une Mercedes. Ursula serre ses épaules pour se faire plus étroite, Helmut serre sa droite et les fesses, mais le choc est inévitable et, dans un grand bruit qui fait sursauter Werner, le rétroviseur de la Mercedes vole en éclats. La voiturette poursuit sur sa lancée et tourne 50 mètres plus loin dans une impasse.

Et c’est ainsi que Werner prit un blâme, que Felix fut sauvé, qu’Ursula fut poursuivie pour délit de fuite, mais avec la clémence du juge, et que Rolf dut retarder son voyage en Bavière de deux jours, le temps de faire réparer son rétroviseur.

Pendant ce temps, à 700 kilomètres de là… « Allô, Gästehaus Morgenblick, auriez-vous une chambre libre demain ? ». « Oui, vous avez de la chance, une chambre vient de se libérer ! ».
« Tu vois Mireille, on n’a même pas eu besoin de notre ange gardien cette fois ! ».

🥾19,3 km  ↗️+637 m ↘️-726 m 🌤️ 17‑23 °C
Ne pas confondre l’espoir et les poires
Les hêtres, ça change des pins, non ?
Réunion des durs de la feuille et de ceux qui n’y voient goutte
Limace sans malice
L’écusson joli
Via fer à tata
Accueillis bras ouverts
Dernière ligne droite (enfin presque)